Qui parle à la place des agriculteurs et agricultrices ?
Une récente enquête menée auprès de presque 8000 agricultrices et agriculteurs, publiée en décembre dernier par le Shift Project, a révélé qu’une très grande majorité est parfaitement consciente des enjeux écologiques actuels.
Une enquête qui va à l’encontre des idées reçues
Pour 86 % d’entre eux, le dérèglement climatique, qui engendre non seulement une hausse des températures mais aussi la multiplication des événements extrêmes (gel tardif, tempêtes, canicules, fortes pluies, etc.), représente une menace pour la viabilité de leur exploitation.
Ils sont aussi inquiets à propos de l’utilisation des pesticides pour leur santé (75 % d’entre eux), pour l’environnement (72 %), mais aussi pour la rentabilité de leur ferme (64 %). 88 % d’entre eux voudraient réduire les pesticides, 87 % préfèreraient cultiver des variétés plus résistantes et 78 % allonger les rotations entre les cultures.
Au final, plus de 80 % d’entre eux aimeraient adopter des pratiques plus durables.
Et même concernant les solutions énergétiques qu’on leur propose pour améliorer leurs revenus, ils ont un regard très critique : ils sont peu favorables à la méthanisation (61 % la rejettent à juste titre) et à l’agrivoltaïsme (51 % s’y opposent). En revanche, ils sont à fond (et ils ont bien raison) pour mettre les panneaux solaires sur les toits de leurs bâtiments (81 %).
Certes les agriculteurs sont en colère, ils réclament depuis des mois, voire des années, qu’un revenu décent leur soit garanti alors que la plupart d’entre eux ne gagnent pas le SMIC. Mais cette enquête montre de façon très nette qu’ils ne sont pas en colère contre l’écologie.
Qui fabrique ce discours anti-écolo ?
Il serait utile d’examiner de plus près qui fabrique le discours clivant, largement médiatisé, qui oppose systématiquement les agriculteurs aux citoyens préoccupés par l’environnement, ceux que les commentateurs nomment si facilement des « écolos-bobos ».
Puisque les agriculteurs sont véritablement préoccupés par l’écologie, il faut en déduire que ceux qui parlent à leur place, les dirigeants agricoles, présidents de chambres d’agriculture ou d’organisations professionnelles, et/ou un certains nombres de députés ou sénateurs qui prétendent représenter la ruralité, trahissent leur base de façon éhontée.
En cette veille d’élections professionnelles, bon nombre de responsables d’organisation ont envie de confisquer la paroles des agriculteurs et agricultrices. Les enjeux sont décisifs pour la profession comme pour le modèle agricole à venir car dans le même temps, des propositions de loi toutes plus délirantes les unes que les autres s’accumulent .
Un projet de loi Duplomb totalement rétrograde
Le sénateur LR Laurent Duplomb
Le 4 décembre 2024 par exemple, la commission des Affaires économiques du Sénat a adopté une proposition de loi visant à démanteler la plupart des dispositions qui préservent l’environnement dans les pratiques agricoles.
Déposée par le sénateur LR de Haute Loire et ancien président de la Chambre d’agriculture (FNSEA) Laurent Duplomb, cette proposition de loi effarante reprend les principaux éléments du texte « Entreprendre en agriculture » écrit la FNSEA, voir notre article ici. Elle prévoit :
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- la réautorisation des néonicotinoïdes n’ayant pas encore fait l’objet d’une interdiction européenne globale, tel que l’acétamipride pourtant identifié comme ultra-toxique,
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- la possibilité donnée au ministre de l’Agriculture de statuer à la place du directeur de l’Agence nationale de sécurité sanitaire et environnementale (ANSES) sur la dangerosité des pesticides,
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- la réautorisation des promotions sur les pesticides,
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- l’autorisation des pulvérisations par drone, alors que les pulvérisations aériennes avaient été interdites en raison de leur dangerosité.
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- Le rehaussement des seuils en-deçà desquels un élevage industriel peut s’agrandir sans réaliser d’évaluation environnementale et d’enquête publique (pourtant déjà relevés en juin 2024 !),
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- la réduction voire suppression de la procédure de consultation du public avant un agrandissement d’élevage,
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- le soutien à la construction de méga-bassines d’irrigation au profit des agromanagers industriels,
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- le renforcement du lobby agricole dans les instances de gestion de l’eau,
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- la réduction des zones humides protégées (par modification des critères d’éligibilité). Non seulement ces propositions rétrogrades entraîneraient un saccage accéléré de la biodiversité, du climat et des ressources mais en plus, elles ruineraient les efforts réalisés par les agriculteurs depuis des années pour transformer leurs pratiques vers l’agroécologie.
Cerise sur le gâteau c’est la suppression complète de l’agence Bio qui est annoncée cette semaine, ruinant ainsi tous les espoirs des agriculteurs engagés dans le bio.
Nous saluons donc la conclusion de cette enquête initiée par le Shift Project qui est que 87 % des agriculteurs se sentent mal représentés dans le débat public. On les comprend !