Publié le 21/11/2020

Suite à l’affaire de Villeneuve de Blaye en mai 2014, et pour tenter de faire face à la tempête médiatique internationale engendrée par les récits des enfants intoxiqués et de leurs enseignants, des responsables des organismes viticoles de Gironde et leur syndicat préféré, la FDSEA 33, ont tenté d’allumer des contre-feux. Maintenant que la justice est passée par là, il nous semble important de revenir sur leurs allégations.

Les faits

Il se trouve que deux viticulteurs traitaient ce jour-là : l’un en bio et l’autre en conventionnel. Il se trouve aussi que cette autre est une viticultrice et qu’elle est maire du village. Elle faisait épandre ce jour-là deux fongicides : Eperon Pepite et Pepper. Les enfants ont été pris de malaises et l’ARS, dans un rapport, a précisé que «les effets aigus connus des fongicides identifiés sont concordants avec les symptômes décrits par les enfants et personnels de cette école» (télécharger ici le rapport de l’ARS). Il s’agissait donc selon toute vraisemblance d’une intoxication liée à des fongicides utilisés en agriculture conventionnelle, comme l’a rappelé le Journal de l’environnement le 11/03/2016.

Précisons que la gendarmerie n’a pas été appelée sur les lieux (alors qu’elle aurait du l’être par la Madame la Maire, dont c’était la responsabilité, ou par les pompiers). La gendarmerie n’est arrivée que quatre jours après, ce qui a privé la procédure judiciaire de tout élément permettant d’incriminer tel ou tel produit et de décrire scientifiquement l’empoisonnement. Étonnant, non ? Surtout quand on connait la distance entre l’école et la gendarmerie (8,8 km). En conséquence la procédure judiciaire n’a pu porter que sur les conditions des épandages (vitesse du vent, contrôle ou non-contrôle de la dispersion), conditions que doivent respecter tous les agriculteurs, qu’ils soient bio ou conventionnels.

Le déni du CIVB

La réaction de Bernard Farges, qui présidait déjà le CIVB à l’époque, fut admirable. Dans un article de juillet 2014, la revue Vitisphere relate l’Assemblée générale de l’organisation qui vient d’avoir lieu dans laquelle l’affaire de Villeneuve est évoquée : « Oui, nous sommes une activité économique. Devons-nous nous en excuser ? » et B. Farges de marteler : « Devons-nous nous excuser d’occuper et de cultiver notre territoire ? Non, sûrement pas ! » Il a également rejeté au passage l’idée d’une omerta des professionnels sur la question des traitements phytosanitaires, soulignant que « la filière des vins de Bordeaux travaille depuis des décennies à réduire ses impacts sur l’environnement. S’il y a une omerta, c’est celle-ci. »

NB :Le célèbre “c’est çui qui l’dit qui l’est” des cours de récréation est un grand classique au CIVB (genre “c’est le cuivre qui tue, pas les pesticides de synthèse”).

Accuser le bio pour disculper le conventionnel

Dans un communiqué de presse du 1/03/2016, la FDSEA 33 écrit ” le point de départ de la polémique, en 2014, concernait un épandage de soufre à proximité d’une école de Villeneuve de Blaye, sur une exploitation conduite en agriculture biologique“. Cette affirmation est totalement mensongère.

En l’absence d’enquête, rien ne permet d’incriminer un viticulteur plutôt qu’un autre puisqu’ils ont tous deux épandu le même matin. Le seul élément à disposition est contenu dans le rapport de l’ARS qui se base sur les effets connus et répertoriés des produits et il infirme ce qu’écrit la FDSEA. Le soufre et le cuivre peuvent certes provoquer des irritations. Elles se dissipent au bout de 6 heures maximum. Ce n’est pas le cas du Mancozèbe (redoutable reprotoxique de niveau 1 qui vient d’être interdit au niveau européen) ou le Mefenoxam et la Spriroxamine. Les malaises de certains enfants et de leur institutrice ont duré plus de 24h (céphalées, irritations oculaires et oropharyngées, nausées selon le rapport de l’ARS).

Il est à noter que ce rapport de l’ARS n’a été révélé au public que suite à l’émission Spécial Investigation de Canal+ en 2016. Voilà pourquoi en 2016, après la diffusion de l’émission, les réactions vont se multiplier pour tenter de noyer le poisson. Jean-Louis Dubourg, président de la FDSEA de l’époque (et aujourd’hui encore) soutenait au journaliste de Rue89 Bordeaux en mars 2016 que “les conclusions d’une enquête demandée par les services de l’État révèlent que le traitement de la vigne de l’une des deux exploitations bio voisines est à l’origine des intoxications des écoliers de Villeneuve-de-Blaye. Mais ces conclusions tardent à sortir et à être révélées au grand public. J’en ai eu connaissance en off ” . Tellement “off” que ces conclusions ne sont jamais sorties, et pour cause ! Cette allusion à une étude “off” défavorable au bio était une stratégie collective de la Chambre d’agriculture puisqu’on la retrouve dans la bouche de Patrick Vasseur, alors vice-président du CIVB. Dominique Techer, responsable de la Confédération paysanne, dans une réunion de la Chambre relatée par Aqui.fr, a alors mis « en demeure ceux qui ont propagé des rumeurs infondées (selon lesquelles la pollution venait de l’exploitation bio, ndlr) d’arrêter de le faire et de rectifier publiquement leurs affirmations ». Ils ne l’ont jamais fait à notre connaissance.

Cette thèse d’une responsabilité unique de l’agriculteur bio a aussi été diffusée par un réseau relativement bien identifié aujourd’hui (voir notre article ici). Le site agriculture-environnement qui sert de faux-nez à GRW – un troll omniprésent sur Twitter et ardent défenseur de l’agriculture industrielle – en a été le promoteur zélé, osant affirmer (en maintenant tout de même le conditionnel) que ” l’épandage responsable de l’incident serait bien un traitement fongique contre l’oïdium et le mildiou, à base de bouillie bordelaise et de soufre, effectué aux alentours de 13h30 sur la parcelle bio“. L’article est un monument de fausses informations et d’approximation. Il faut le lire pour voir jusqu’où ces gens peuvent aller !

Concernant les horaires de traitement des uns et des autres, la justice, après audition des témoins, a retenu un scénario qui n’a rien à voir avec celui-là. Lire notre rubrique “Historique de l’affaire” et l’arrêt de la cour d’appel du 18 novembre qui rappelle en détail ces horaires.

Refus d’une règlementation

Il est intéressant de noter aussi la réaction qui a suivi la parution de l’arrêté préfectoral de 2016 permettant d’encadrer un peu mieux (sans être satisfaisant pour autant) les épandages autour des établissements scolaires. Un article de la Nouvelle République relate les résistances de la FDSEA 33 à ce règlement pourtant minimal et qui mériterait de nombreux compléments, comme nos associations l’ont en vain réclamé (voir par exemple notre lettre au Préfet en 2018 et notre conférence de presse à Blaye). La FDSEA estime que les mesures prises dans cet arrêté interdisant les pulvérisations pendant les horaires scolaires relèvent d’une “fausse bonne idée”. Alors qu’une pétition circule pour demander la conversion en bio de toutes les parcelles à proximité des écoles, le syndicat agricole réaffirme à cette occasion que “cet incident avait été précisément provoqué par un épandage de soufre, un fongicide biologique, sur une exploitation vouée à l’agriculture biologique“. La FDSEA 33 tient “à rappeler que la profession agricole est, depuis de nombreuses années, dans une démarche de progrès constants de ses techniques de production“. Ce “progrès” saute aux yeux puisque de 2009 à 2019, l’usage des pesticides dans la région a augmenté de +24% en quantité de substance active, comme le montre le suivi du plan Ecophyto dont le pilote local émérite a longtemps été… Patrick Vasseur.

Des complicités étonnantes

On comprend que les responsables de ce syndicat entièrement dévoué à la défense d’un modèle d’agriculture chimique aient cherché à étouffer l’affaire (même si c’est inexcusable d’un point de vue déontologique). Ce qui est plus étonnant, ce sont les contradictions des services de l’Etat. La préfecture d’Aquitaine a publié un premier rapport après les événements affirmant : “tout indique que l’épandage des produits à proximité de l’école s’est déroulé dans des conditions inappropriées sans qu’aient été prises toutes les précautions pour le voisinage” (voir cet article du Nouvel Obs en 2015). Mais le Directeur de la DRAAF, François Projetti aurait ensuite, selon Sud-Ouest, estimé “qu’il n’est pas possible d’attester formellement de la réalité et de la matérialité de l’infraction”. Autrement dit, il a contredit les conclusions de ses services, ce qui aurait convaincu le procureur de classer l’affaire sans suite.

Parvenir après tous ces dénis, ces mensonges, ces pressions à une condamnation au moins de principe des deux exploitants pour avoir laissé leurs épandages sortir des parcelles est donc à mettre au crédit de la Justice. Voilà pourquoi nous nous félicitons de l’initiative du Parquet Général et de la suite donnée à cette affaire, même s’il reste beaucoup à faire pour réglementer l’usage des pesticides, notamment autour des établissements sensibles.

Cette photo d’août 2016 montre la (très faible) distance entre la parcelle de Castel la Rose et le grillage de la cour de récréation de l’école de Villeneuve. On ne voit aucune trace des plantations de haies pourtant annoncées depuis plusieurs mois dans la presse locale.