Les perturbateurs endocriniens regroupent une vaste famille de composés capables d’interagir avec le système hormonal, et notamment avec notre métabolisme ou nos fonctions reproductrices. Leur étude représente un enjeu majeur pour la recherche, le corps médical et les pouvoirs publics car les sources d’exposition sont nombreuses et difficiles à maîtriser, tandis que les conséquences biologiques de ces expositions sont encore mal appréhendées et complexes à étudier.
Il existe de nombreuses définitions pour décrire ce que sont les perturbateurs endocriniens. Celle qu’a établie l’Organisation mondiale de la santé en 2002 est la plus acceptée : un perturbateur endocrinien est “une substance exogène ou un mélange qui altère la/les fonction(s) du système endocrinien et, par voie de conséquence, cause un effet délétère sur la santé d’un individu, sa descendance ou des sous-populations“.
–> Listes de produits pesticides susceptibles de contenir des substances perturbatrices endocriniennes établie par le Ministère de l’Agriculture en juillet 2017
–> Conseils au parents par le Dr Le Houézec, pédiatre à Caen.
–> Présence des perturbateurs endocriniens dans les eaux de surface en France. Rapport du 16/04/19 publié par Générations Futures à partir de la base de données Naïades de l’agence Eau France.
Le système hormonal sous le feu des perturbateurs endocriniens
Le système endocrinien regroupe les organes qui sécrètent des hormones : thyroïde, ovaires, testicules, hypophyse… Il libère ces médiateurs chimiques dans la circulation sanguine pour agir à distance sur certaines fonctions de l’organisme comme la croissance, le métabolisme, le développement sexuel, le développement cérébral, la reproduction… Les perturbateurs endocriniens altèrent le fonctionnement habituel de l’organisme en interagissant avec la synthèse, la dégradation, le transport et le mode d’action des hormones.
Historiquement, les perturbateurs endocriniens ont commencé à attirer l’attention des chercheurs dès les années 1950. Mais c’est l’affaire du distilbène qui, dans les années 1970, a fait exploser le sujet sur la scène scientifique et médiatique (voir encadré). Depuis, on connaît plus précisément les mécanismes d’actions de ces substances. Selon le produit considéré, ils vont :
- modifier la production naturelle de nos hormones naturelles (œstrogènes, testostérone) en interférant avec leurs mécanismes de synthèse, de transport, ou d’excrétion ;
- mimer l’action de ces hormones en se substituant à elles dans les mécanismes biologiques qu’elles contrôlent ;
- empêcher l’action de ces hormones en se fixant sur les récepteurs avec lesquels elles interagissent habituellement.
En découle un certain nombre de conséquences potentielles pour l’organisme, propres à chaque perturbateur endocrinien : altération des fonctions de reproduction, malformation des organes reproducteurs, développement de tumeurs au niveau des tissus producteurs ou cibles des hormones (thyroïde, sein, testicules, prostate, utérus…), perturbation du fonctionnement de la thyroïde, du développement du système nerveux, modification du sex-ratio…
Aujourd’hui, la définition scientifique du champ d’action des perturbateurs endocriniens tend à s’élargir. Certains organes clés, qui ne sont pas considérés comme des glandes endocrines à proprement parler, produisent des hormones qui apparaissent elles aussi comme des cibles potentielles des perturbateurs endocriniens : la leptine du tissu adipeux qui intervient dans la régulation du métabolisme, l’IGF-1 produite par le foie qui agit comme un facteur de croissance…
Distilbène, l’histoire à retardement d’un médicament hormonal
Au début des années 1970, un chercheur américain, Arthur L Herbst, a observé la recrudescence d’une forme rare de cancers gynécologiques chez des adolescentes et de jeunes adultes. L’analyse de ces cas a montré que ces femmes étaient nées de mères qui avaient pris du distilbène, un œstrogène de synthèse, prescrit à l’époque pour prévenir les fausses couches durant la grossesse. Rapidement, le lien entre l’exposition du fœtus au distilbène et l’altération de ces organes reproducteurs (cancers, stérilité) a été établi. Depuis, il apparaît que les enfants nés de cette génération exposée in utero, ont, eux aussi, un sur-risque de pathologies gynécologiques.
Air, eau, aliments… : les sources d’exposition sont multiples
Il existe une grande diversité parmi les perturbateurs endocriniens, et les sources de contamination auxquelles hommes et animaux sont exposés sont également nombreuses. En effet, ces composés peuvent être présents dans des produits manufacturés ou des aliments d’origine végétale ou animale. Ils sont pour la plupart issus de l’industrie agro-chimique(pesticides, plastiques, pharmacie…) et de leurs rejets. Beaucoup sont rémanents : ils persistent dans l’environnement de longues années et peuvent être transférés d’un compartiment de l’environnement à l’autre (sols, eau, air…) de longues années après qu’ils aient été produits.
Les hormones naturelles ou de synthèse constituent une source importante de perturbateurs endocriniens : œstrogènes, testostérone, progestérone… et les produits de synthèse mimant leurs effets sont souvent utilisés en thérapeutique (contraception, substitution hormonale, hormonothérapie). Elles entraînent un risque indirect en rejoignant les milieux naturels, après avoir été excrétées dans les rejets humains ou animaux. Y sont adjoints les phytoestrogènes naturellement présents dans certaines plantes (soja, luzerne).
Un second groupe de perturbateurs endocriniens, bien plus large, rassemble tous les produits chimiques et sous-produits industriels qui peuvent interférer avec le système endocrinien de l’homme ou de l’animal. Il comporte à l’heure actuelle plus d’un millier de produits, de nature chimique variée. Parmi les plus fréquents, on peut citer:
- des produits de combustion comme les dioxines, les furanes, les hydrocarbures aromatiques polycycliques(HAP)…
- des produits industriels ou domestiques comme :- les phtalates, ou le bisphénol A utilisés dans les plastiques ;- les parabènes, conservateurs utilisés dans les cosmétiques ;- les organochlorés (DDT, chlordécone…) utilisés dans les phytosanitaires ;
- l’étain et dérivés utilisés dans les solvants.
La recherche face à de nouveaux paradigmes
L’étude des perturbateurs endocriniens est aujourd’hui très importante pour la santé, mais aussi pour l’environnement. Mais, cette recherche doit relever plusieurs défis, liés aux particularités de ces substances. En effet, l’étude de la toxicité d’une molécule est classiquement réalisée en exposant des cellules ou des tissus à des doses croissantes de la molécule en question. Or, cette approche ne peut suffire lorsqu’il s’agit des perturbateurs endocriniens, et ce pour plusieurs raisons :
La première se rapporte aux doses d’exposition : Il n’y a pas de dose seuil. Autrement dit, ces perturbateurs peuvent agir dès les première molécules ingérées. Ils ont un effet plus fort sur de très faibles doses. Cet effet diminue ensuite avec l’augmentation de la dose pour de nouveau augmenter avec la dose d’exposition.
D’autre part, le délai d’apparition des effets délétères des perturbateurs endocriniens, parfois prolongé, peut compliquer encore cette analyse.
Il faut aussi tenir compte des périodes de vulnérabilité des êtres vivants face à ce risque toxique : un organisme ne subit pas les mêmes effets lorsque le contact avec un perturbateur endocrinien a lieu in utero, pendant la petite enfance, pendant la puberté ou à une autre moment de la vie. De plus l’effet transgénérationnel de certains d’entre eux montre aussi que le risque sanitaire ne concerne pas uniquement la personne qui est exposée, mais aussi sa descendance.
Enfin, l’effet cocktail des perturbateurs endocriniens est complexe à mettre en évidence : il découle de l’addition des effets délétères de plusieurs composés à faibles doses, qui agissent sur les mêmes mécanismes biologiques. Ensemble, ils peuvent perturber l’organisme sans que chacun, pris isolément, n’ait d’effet. Par ailleurs, il peut y avoir des interactions entre perturbateurs endocriniens agissant par des mécanismes différents.
A côté de la spécificité liée aux substances incriminées, la complexité du système hormonal rend la recherche encore plus complexe : en effet, les régulations endocriniennes ne font pas intervenir une mais plusieurs hormones interagissant entre elles. Il peut donc être particulièrement difficile de prédire l’ensemble des conséquences biologiques d’un perturbateur endocrinien.
Malgré toutes ces difficultés, les pouvoirs publics et les chercheurs déploient plusieurs niveaux de vigilance pour réduire les risques d’exposition et repérer les perturbateurs endocriniens potentiels :
- les études écotoxicologiques, conduites en milieu aquatique,
- les études épidémiologiques, conduites au sein d’une population, sont utiles pour corréler certains événements, parfois rares, à l’exposition à certaines substances. Le lien de causalité suspecté à travers de telles études doit cependant être apporté par des études conduites in vitroet/ou in vivo ;
Des cohortes nationales pour mieux évaluer l’exposition des populations vulnérables
– La cohorte ELFE (pour Etude longitudinale française depuis l’enfance), a été lancée en 2011, sous la coordination de l’unité mixte Ined-Inserm-EFS Elfe : elle suit aujourd’hui 20 000 enfants, nés en 2011. Son objectif principal est l’étude les déterminants environnementaux et sociétaux qui, de la période intra-utérine à l’adolescence, peuvent impacter le développement et la santé des enfants. Un volet de cette étude a permis de collecter des échantillons biologiques chez 8 000 mères. Ils pourront aider à repérer d’éventuelles corrélations entre événement de santé et une imprégnation par des perturbateurs endocriniens in utero.
Plusieurs études ont été menées dont une portant sur «Imprégnation des femmes enceintes par les polluants de l’environnement»
«Cette étude, qui s’appuie sur un sous-échantillon de 4 145 mères incluses dans la cohorte Elfe, fournit pour la première fois des résultats fiables à l’échelon national de l’imprégnation des femmes enceintes par certains polluants de l’environnement, mesurés à partir de prélèvements biologiques recueillis en maternité (sang de cordon, urine, cheveux et sang maternel). L’étude montre que la majorité des polluants étudiés sont présents chez près de la totalité des femmes enceintes, et que l’alimentation représente la source principale d’exposition, malgré l’existence d’autres sources notamment dans l’air intérieur et extérieur» dit le résumé de l’étude dont la page mettant à disposition l’étude elle-même a disparue.
Un autre, portant sur «Analyse des pesticides dans des échantillons de cheveux de femmes enceintes» montre que dans les régions du nord-est et du sud-ouest de la France où ces études ont été effectuées, «les analyses ont permis de détecter en moyenne 43 substances par femme et on retrouve 28 substances dans 70 % à 100 % des mèches de cheveux. Les concentrations les plus élevées sont mesurées pour la perméthrine (insecticide de la famille des pyréthrinoïdes), le p-nitrophénol (fongicide) et le pentachlorophénol (fongicide). Les auteurs concluent que dans cet échantillon de 311 femmes enceintes, toutes les femmes sont exposées simultanément à diverses substances pesticides dont certaines sont suspectées d’avoir des effets reprotoxiques ou perturbateurs endocriniens.»
Il est à noter que la consultation intégrale de cette étude est payante 39,95$ aux éditions ELSERVIER … un des éditeurs qui a privatisé les résultats de la recherche publique !!!!
– La cohorte PELAGIE (pour Perturbateurs endocriniens : étude longitudinale sur les anomalies de la grossesse, l’infertilité et l’enfance) suit, depuis 2002, 3 500 couples mères-enfants habitant en Bretagne. Conduite par l’équipe “Recherches épidémiologiques sur l’environnement, la reproduction et le développement” de l’Institut de recherche en santé, environnement et travail (Irset, unité 625 Inserm/Université de Rennes 1/EHESP), PELAGIE vise à étudier l’impact de contaminants environnementaux sur le développement intra-utérin, puis sur celui de l’enfant. D’ores et déjà, elle a montré plusieurs corrélations, comme l’exposition à certains polluants organiques (DDT, PCB) sur le délai de conception d’un enfant, ou l’exposition à un herbicide du maïs et le retard de croissance intra-utérin. L’étude est toujours en cours.
- les études toxicologiques in vitro permettent d’appréhender la toxicité des composés chimiques considérés comme suspects. Pour parfaire ce travail, différents systèmes de cellules en culture sont utilisés : cellules de l’hypophyse, du foie, cellules mammaires, cellules reproductrices… Il faut savoir que, depuis 2007, la législation européenne impose aux fabricants de soumettre chacun de leurs produits chimiques à des tests toxicologiques différents selon la nature du produit (système REACH) ;
- des modèles d’études in vivo (chez l’animal) sont indispensables pour appréhender l’effet toxique global d’un perturbateur endocrinien.
Action des pouvoirs publics
En 2014, le gouvernement a adopté la première stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens. Elle vise à articuler recherche, surveillance et réglementation pour prévenir et limiter l’exposition de la population à ces substances, et en particulier les plus vulnérables (femmes enceintes, enfants). Elle s’inscrit maintenant dans le troisième plan national santé-environnement (PNSE3).
Cette stratégie comporte quatre axes principaux :
– l’information des citoyens, notamment sur les perturbateurs endocriniens que l’on trouve à l’intérieur des habitations ; la question des perturbateurs endocriniens pulvérisés à grande échelle sur certaines cultures comme la vigne est encore bien peu envisagée ;
– le soutien à la recherche sur les perturbateurs endocriniens et sur le développement d’alternatives non toxiques à ces produits. Pour accélérer ce mouvement, le gouvernement souhaite proposer une plateforme public-privée des méthodes d’évaluation et de validation de test des substances pour que l’évaluation de nouveaux composés devienne précoce, systématique et formalisée ;
– la programmation d’expertises conduites par les institutions en charge de la sécurité sanitaire (ANSM, ANSES) afin de statuer annuellement sur plusieurs substances suspectées à risque,
– la mise en place d’une réglementation spécifique. La France est, avec le Danemark, l’un des pays les plus engagés pour la régulation relative aux perturbateurs endocriniens. C’est dans le cadre de cette stratégie qu’ont été adoptés le contrôle des phtalates dans les jouets ou l’élimination du bisphénol A des tickets de caisse.
Source : INSERM