Parmi les nombreuses irrégularités qui entourent le processus d’autorisation des pesticides et que nous avons déjà évoquées ici ou avec la campagne Secrets toxiques il en est une qui bat tous les records de malhonnêteté. Non seulement ce sont les fabricants qui font eux-mêmes les études de toxicité de leurs produits, non seulement les études scientifiques récentes identifiant des risques pour la santé ne sont pas prises en compte, non seulement l’ensemble des molécules actives n’est pas évalué et encore moins leurs effets cocktail, mais …. des substances actives sont masquées car elles sont déguisées en co-formulants. Elles participent incognito à l’empoisonnement de l’environnement.

le PBO avance masqué

Les co-formulants, quesaqo ?

Ce sont des molécules qui sont ajoutées à la (ou les) substance(s) active(s) pour améliorer leur efficacité. Certains sont appelés « mouillants » car ils permettent une meilleure couverture du feuillage (ils contiennent des tensio-actifs), d’autres sont des huiles qui augmentent la pénétration des bouillies (huiles minérales ou végétales), d’autres sont des solutions aqueuses comme le sulfate d’ammonium qui évitent le dessèchement des gouttes.

Enfin certains sont appelés « synergisants », c’est à dire qu’ils ne servent officiellement qu’à doper l’efficacité de la substance active et, donc, à en réduire la dose à l’intérieur du bidon. C’est en tous cas avec cet argument rassurant qu’ils nous sont « vendus ». Nul besoin d’évaluer la toxicité d’un « synergisant » puisqu’il n’a officiellement pas d’action biocide en lui-même…

Oui mais. Réfléchissons. Si un synergisant permet de multiplier la toxicité d’un pesticide, il est difficile d’imaginer qu’il soit tout à fait neutre et le doute est légitime pour certains d’entre eux. C’est le cas du PBO – le butoxyde de pipéronyle – un co-formulant que l’on retrouve dans le corps des abeilles, comme nous allons le voir, notamment parce qu’il entre dans la composition de nombreuses préparations « phytosanitaires ».

La molécule de butoxyde de pipéronyle (PBO)

Comment agit le PBO ?

Léa Tison, chercheuse à l’INRAE de Bordeaux, a entrepris avec son équipe d’étudier la contamination de notre environnement aux pesticides et le déclin actuel des populations d’insectes à travers un bio-indicateur : le corps de frelons asiatiques. En effet lors de la collecte de nectar et de pollen, les abeilles sont exposées à de multiples résidus chimiques qui s’accumulent dans leurs tissus au fil du temps. Le frelon asiatique est une espèce invasive. C’est un prédateur des abeilles domestiques en Europe et on retrouve donc dans le corps des frelons les molécules qui ont empoisonné les abeilles.

L’article où est publié cette étude est en ligne ici. Il confirme que « la plupart des recherches se concentrent sur les effets des substances actives » ce qui montre que  » les coformulants sont considérés comme des ingrédients « inertes » et non toxiques selon le règlement CE n° 1107/2009″.

Larticle ajoute « l’exposition de la faune non-cible à ces produits chimiques est préoccupante, car leur quantité dans les produits phytopharmaceutiques peut atteindre 10 fois celle de la substance active »… et la preuve que ces composés ne sont pas aussi « inertes » qu’ils en ont l’air a été confirmée par plusieurs études.

Nombre de détections et concentrations (en ng.g⁻¹) de 13 pesticides et du PBO chez les ouvrières frelons (Tison, 2023)

On le voit, le composé le plus fréquemment détecté était le synergiste PBO, retrouvé dans 37,5 % des colonies analysées. Or ce PBO a pour effet d’empêcher les abeilles de secréter certaines enzymes qui leur permettent de se détoxifier des molécules de pesticides qu’elles ont rencontrées en butinant. Cette bioaccumulation du PBO est vraiment préoccupante car ce type de composé peut se concentrer dans les tissus riches en lipides présents chez les insectes.

On peut écouter une interview complète de Léa Tison au sujet de ses recherches en podcast sur le site de la Clé des Ondes.

Que font les pouvoirs publics ?

Puisque le PBO est considéré comme un synergisant, il n’y a pas de limite maximale de résidus (LMR, voir note article ici) qui le concerne. Il n’est donc pas repris dans les annexes du règlement (CE) n° 396/2005, mais il fait l’objet de mesures nationales. La France a interdit l’utilisation du PBO en production biologique par un arrêté du 2 novembre 2017. La détection de PBO dans une denrée bio doit donc conduire à une conclusion de non-conformité de cette denrée.

Cependant, le PBO continue d’être toléré en agriculture biologique au niveau européen en tant que synergiste associé à une substance active (le pyrèthre) autorisée.

Un argument de plus pour consommer du bio local !

La fiche du PBO sur le site de l’ECHA

L’agence européenne des produits chimiques (ECHA) indique que cette molécule est très toxique pour les organismes aquatiques avec des effets durables, provoque une irritation sévère des yeux, et peut provoquer une irritation des voies respiratoires.

Le PBO est-il un perturbateur endocrinien ? La question est parasitée par le lobby de la Piperonyl Butoxide Task Force II (PBTFII), un groupe d’entreprises produisant ou commercialisant des produits contenant du PBO, qui a fourni lui-même les tests demandés par l’EPA, l’agence de protection de l’environnement aux Etats-Unis (voir cet article). On n’est jamais si bien servi que par soi-même.

La même EPA classe cependant le PBO dans le groupe des substances « potentiellement cancérigènes pour l’homme ».

Faut-il s’inquiéter ?

Une série d’analyses faites par 60 millions de consommateurs sur 40 références de riz des quatre variétés les plus consommées en France – basmati (14), thaï (10), long grain et de Camargue (6) – a montré que les riz non-bio et notamment le basmati étaient largement contaminés aux pesticides. Ils contenaient tous du butoxyde de pipéronyle !

Les insecticides à base de pyréthrinoïdes, qui ont remplacé les organo-phosphorés car supposés moins dangereux, contiennent énormément de PBO puisque celui-ci multiplie leur effet.

L’association des médecins sur les pesticides (AMLP) signale dans un article dédié aux polluants domestiques une étude montrant qu’il existe une relation statistique entre l’exposition intra-utérine au butoxyde de pipéronyle et le retard du développement cognitif. Cette étude (Horton et al, 2011) menée à l’université Columbia porte sur une cohorte new-yorkaise et montre une diminution des performances cognitives globales à 3 ans en lien avec les niveaux de butoxyde de pipéronyle mesurés dans l’air pendant la grossesse.

Ces quelques éléments devraient suggérer aux pouvoirs publics de ne plus considérer comme simple synergisant cette molécule et de solliciter des études scientifiques indépendantes sur la toxicité à long terme du PBO.

Les industriels de l’agrochimie continuent d’entretenir un amalgame entre toxicité de la préparation commerciale et toxicité de la molécule définie comme substance active. Mais cet amalgame commence à sérieusement se fissurer. En 2019, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie par Me Guillaume Tumerelle avocat de Secrets Toxiques, a rendu un arrêt dans lequel elle reconnaît que « les procédures conduisant à l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique doivent impérativement comprendre une appréciation non seulement des effets propres des substances actives contenues dans ce produit, mais aussi des effets cumulés de ces substances et de leurs effets cumulés avec d’autres composants dudit produit ».

Nos associations continueront de militer pour le respect de ces procédures d’autorisation car il en va de la santé de tout le vivant, humain et non humain.