article mis à jour le 28/10/2020
Le Mancozèbe est une substance active fongicide utilisée dans la culture de la vigne, des pommes de terre et de certains fruits. Il est la principale substance active du Ditano, du Harpon P, du Reader, du Manco, du Biskaine, du Sanblite, du Rhodax express, du Dithane, du Forum, du Penncozeb, du Raison WP, de l’Almanach Flash, du Fosbel Plus etc… tous des fongicides 🍇 utilisés sur la vigne 🍇. Le Mancozèbe est aussi la principale substance active de l’Eperon Pepite, un des produits qui étaient épandus à Villeneuve de Blaye en 2014 et qui ont rendu les enfants et leur institutrice malades. Ce produit devrait être dans la liste des produits qui ne peuvent pas être pulvérisés à moins de 20 m des habitations (voir notre article) mais, suite à un recours dont nous parlons plus loin, il en a été retiré et peut être pulvérisé à 3m en viticulture.
Le Mancozèbe a la particularité d’être une des dernières substances classées CMR1 (reprotoxique de niveau 1) encore en circulation. En effet le règlement (CE) n° 1107/2009 prévoit la fin des autorisations pour ce type de molécules au bout de 10 ans, c’est à dire en 2019 dernier délai (voir notre article). Sauf si elles ont pu obtenir des délais de grâce… Sauf si elles sont parvenues à changer de classement…
Le dossier du Mancozèbe devait être réexaminé en 2016. Par quatre fois déjà, il a obtenu une prolongation de son autorisation de mise sur le marché (AMM) jusqu’en janvier 2021.
Petite histoire du Mancozèbe
Le Mancozèbe est un dithiocarbamate. Ce type de substance était utilisé initialement dans le process de vulcanisation du caoutchouc. Ce n’est qu’en 1934 qu’un brevet a été déposé pour les propriétés fongicides de l’un de ces dithiocarbamates appelé Thiram. D’autres fongicides ont été développés ensuite sur un modèle analogue (les éthylène-bisdithiocarbamates, EBDC) et, en 1944, un brevet est déposé pour le Dithane D-14, une molécule de la même famille avec ajout de zinc stabilisant ses propriétés. En 1950 DuPont dépose un brevet pour un EBDC avec ajout de manganèse et le nomme Maneb (pour manganèse éthylène-bisdithiocarbamate). En 1962, la société Rohm & Haas dépose le brevet du complexe zinc-Maneb et le baptise en anglais Mancozeb (Mancozèbe en français).
Très rapidement, ces EBDC ont remplacé la bouillie bordelaise aux Etats-Unis. Le succès commercial du Mancozèbe est tel que la société Dow Agroscience (DAS) en rachète le brevet à Rohm & Haas en 2001. DAS a ensuite obtenu des homologations dans 120 pays. En 2007, le Mancozèbe était la deuxième substance active la plus vendue au monde, pour un total de 500 millions de $ ! En France, c’est actuellement la quatrième substance la plus vendue (après le soufre, le glyphosate et le prosulfocarbe).
Depuis plus de 35 ans, le leader mondial pour la fabrication de Mancozèbe est la société indienne UPL. L’usine où se fabrique celui qui est vendu en France est à Rotterdam. UPL a constitué avec une autre société indienne (Indofil) la MTF, la Mancozeb Task Force. Celle-ci se charge du lobbying pour obtenir les prolongations de l’autorisation.
Les barbouzes du Mancozèbe
Les CMR1 se classent en deux catégories : les CMR 1A (avérés) et les CMR 1B (suspectés). Le Mancozèbe est reconnu R1B reprotoxique suspecté ; il est en outre reconnu perturbateur endocrinien par l’EFSA (l’agence européenne pour la sûreté alimentaire) qui s’en inquiète dès mars 2019. Mais l’histoire se complique un peu à la fin de l’année dernière.
Chronologie :
En mars 2019 le RAC (Comité d’évaluation des Risques) de l’EFSA a conclu que le Mancozèbe remplit tous les critères pour être classé R1B. L’évaluation de la molécule qui était en cours semblait donc condamner définitivement la molécule.
Mais le rapport qui est publié le 20 novembre sur le site de l’EFSA présente de curieux caviardages. Certains mots sont surlignés de noir : « La classification du mancozèbe en tant que [caviardé] et [caviardé].» Stéphane Horel, une journaliste du Monde (article du 2/12/19), a eu accès au document initial qui écrivait que le Mancozèbe était : « présumé toxique pour la reproduction (catégorie 1B) et que les critères sont remplis pour l’identifier comme perturbateur endocrinien pour les humains ». Un peu plus loin, la phrase suivante est aussi rayée « risque élevé pour les oiseaux, les mammifères, les arthropodes [insectes] non cibles et les macro-organismes du sol », et le « risque élevé pour les organismes aquatiques ».
Que s’est-il passé ? L’EFSA adresse aux industriels ses rapports avant de les publier sur son site et UPL, la société indienne, a déposé un recours contre cette publication. Le recours est suspensif.
La décision pour la réautorisation ou non du Mancozèbe devait intervenir lors de la réunion du Scopaff (le comité d’experts européen sur la question) en mars 2020, repoussé à juillet 2020 pour cause de Covid. Lors de la réunion de juillet, alors que la Commission elle même apportait toutes les preuves de la dangerosité du Mancozèbe, les 27 Etats membres n’ont pas réussi à se mettre d’accord (décodeur : certains gouvernements ont été “convaincus” par les “arguments” de la Mancozeb Task Force ; vous ne saurez pas lesquels car les débats de ce comité ne sont pas publics, tambouille oblige). La décision a été repoussée au 22 ou 23 octobre qui vient. Cela peut laisser le temps à la Task Force de dégotter une étude scientifique inédite qui jette le doute. C’est toujours bon de gagner du temps. Parfois quelques mois, et c’est une nouvelle saison qui commence, les clients peuvent repasser commande.
Le Mancozèbe, ça marche bien ?
Dans la brochure que nous avons déjà citée, l’UPL semble ravie de sa molécule. Pensez donc ! Au lieu de s’attaquer bêtement à une fonction vitale des champignons qu’il est censé détruire, le Mancozèbe est multi-site et s’attaque à plusieurs fonctions vitales. Il permet en outre de “soigner” aussi bien le mildiou des pommes de terre, que celui de la vigne, et encore le black rot, la tavelure du pommier ou la rouille du prunier.
Le Mancozèbe s’attaque ainsi à la synthèse des acides nucléiques, à la division cellulaire, à la respiration mitochondriale, à la paroi cellulaire, et bloque la germination des spores. Bref, un truc génial qui évite à cette substance l’écueil habituel des fongicides : le phénomène de résistance.
Bon mais, les mitochondries, on en a nous aussi dans nos cellules, ainsi que les insectes, non ? Pas de souci nous rassure la brochure ! Ils ont mesuré les populations d’insectes et notamment de pollinisateurs, après traitement. Juste après… il n’y en a plus beaucoup, faut bien le reconnaitre. Mais quelques mois plus tard, ça revient ! Un peu. Conclusion : “Les résultats obtenus montrent que le mancozèbe, appliqué selon les bonnes pratiques agricoles, n’induit pas d’effets inacceptables sur les insectes pollinisateurs” (p. 37).
Et pour l’homme, y a pas d’étude ?
Non. Et l’idée que ce n’est pas un souci est tellement partagée, que dans l’étude ATMO-NA 2019 de mesure des pesticides dans l’air de la région, il n’y a toujours pas le Mancozèbe ni son métabolite, l’ETU (voir le dossier de nos associations ici).
Alors vite, allez sur le site de Générations Futures “Shake ton politique“, pour secouer le ministre de l’agriculture Julien Denormandie et éviter qu’il renouvelle la prouesse des néonicotinoïdes (voir notre article).
Mise à jour du 28 octobre 2020
La mobilisation a payé. Les gouvernements européens ont décidé de retirer l’autorisation du mancozèbe lors d’une réunion du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux de la Commission européenne les 22 et 23 octobre derniers. C’est une excellente nouvelle ! L’autorisation actuelle du mancozèbe expirera donc le 31 janvier 2021.
Sources :
- Le blog Mediapart “Pas de perturbateurs endocriniens dans nos assiette” animé par AMLP (Alerte Médecins Pesticides)
- La brochure d’UPL “Le Mancozèbe, passeport pour l’avenir” en ligne ici.
- L’étude “Mancozeb, Past, Présent and Future”, The American Phytopathological Society, 2010, publiée par des chercheurs de DAS et téléchargeable ici.