A l’heure où les habitants de la ville de Rouen, du Nord de la France et de la Belgique s’interrogent sur la composition de l’air qu’ils respirent depuis 5 jours, essayent de mettre leurs proches à l’abri et demandent la vérité, les pouvoirs publics se retranchent derrière des procédures et les normes qu’ils auraient respectées.
Soit. Les populations sont-elles protégées pour autant ?
Droit de l’environnement ou droit à polluer ?
Ce mardi 1er octobre au matin, un chercheur du CNRS, Jean-Baptiste Fressoz*, rappelait sur les ondes de France Culture les débuts du droit de l’environnement. En 1810, face à la multiplication des fabriques et simultanément des plaintes des riverains incommodés des mauvaises odeurs, Napoléon exige que les entrepreneurs demandent expressément une autorisation d’installation. La conséquence a été rapide : les plaintes des riverains ont bien sûr continué, mais elles se sont heurtées au mur administratif de l’autorisation donnée.
L’autorisation administrative est devenue un droit à polluer.
Aujourd’hui, les normes ont évolué, plutôt dans un sens positif car les connaissances scientifiques ont progressé mais les sources de pollution se sont multipliées, la dangerosité (l’efficacité) des produits s’est aggravée et cette logique du droit à polluer persiste. Elle est encadrée par tout un arsenal d’outils d’évaluation des risques très pointus mais qui sont mis en regard des bénéfices attendus ; ce que l’ANSES appelle dans son jargon la “gestion bénéfices-risques”.
Pesticides dans l’air : quelles normes ?
Nous rencontrons souvent des agriculteurs agacés par les critiques qui fusent de toutes parts concernant l’usage (qui ne baisse toujours pas) des phytos dans l’agriculture “conventionnelle”. Ils protestent vigoureusement : “mais nous utilisons des produits autorisés et respectons les règlementations !“.
C’est vrai, et ce n’est pas le respect de la loi par les agriculteurs qui est en cause dans la grande majorité des cas. C’est bien davantage l’honnêteté de ceux qui fabriquent ces produits, et celle de ceux qui signent les autorisations de mise sur le marché – (les fameuses AMM) – et qui produisent tout un encadrement juridico-scientifique ayant pour but de donner un fondement légal à la pollution très inquiétante de nos sols, de notre air et de notre eau, avec les conséquences dramatiques que l’on sait sur la biodiversité. La même démarche – en plus sophistiquée – que l’autorisation napoléonienne.
Nous évoquions dans notre précédent article les résultats de la nouvelle campagne 2018 de mesure des pesticides dans l’air, faite par ATMO Nouvelle Aquitaine (téléchargeable ici). Ces résultats ont été examinés de façon détaillée par nos amis de l’association des médecins contre les pesticides (AMLP).
Ils s’étonnent, dans une lettre adressée à l’ANSES et l’ARS (téléchargeable ici), des concentrations moyennes hebdomadaires dans l’air d’une commune du Médoc (dont on ne dit pas le nom mais qui a le même emplacement géographique que St Estèphe et le même nombre d’habitants… on imagine les pressions pour le taire), concentrations qui sont de l’ordre de 60 ng/m3 pour le Folpel, et de 150 ng/m3 de Pyrimethanil , des concentrations qui augmentent par rapport à de précédentes études (2010). Nos amis médecins ajoutent :
Ceci étant, un individu moyen respirant 14 m3 d’air par jour, tout laisse supposer que chaque habitant a inhalé jusqu’à 0,490 µg/jour de Folpel et 2,1 µg/jour de Pyrimethanil, doses quotidiennes largement supérieures aux doses réglementaires de potabilité de l’eau … c’est à dire 13 fois plus pour le Pyrimethanil et 5 fois plus pour le Folpel lors des semaines 32 et 31 , tout ceci sans tenir compte d’éventuelles autres voies d’exposition (cutanée par exemple, ou alimentaire via la contamination des potagers).
lettre de l’AMLP à l’ANSES et l’ARS
Pour mémoire, la fiche ANSES du Folpel – un fongicide que l’on retrouve en quantité jusque dans les bouteilles du Nord-Gironde voir nos analyses ici – rappelle que c’est un produit cancérigène, H351 (susceptible de provoquer le cancer) et impose 48h de délai de ré-entrée dans les rangs. Comment est-il possible que les pouvoirs publics laissent les 1600 habitants d’une commune respirer ces doses sans que cela ne déclenche une réaction de leur part ? Les médecins de l’AMPLP posent plusieurs questions aux pouvoirs publics que nous résumons ci-dessous.
1. Cet épisode de concentration aérienne élevée en pesticides peut-il être assimilé à un épisode de pollution atmosphérique ?
2. Le service de Phytopharmacovigilance de l ‘ANSES compte-t-il se saisir de cette question?
3. L’ARS qui ne peut ignorer ces données a-t-elle déclenché une mesure d’information du Maire et de la population?
4. De manière plus générale, … une procédure d’information est-elle prévue et si oui, à partir de quel niveau de pollution pour les pesticides?
5. Comment le coefficient d’absorption par inhalation a-t-il été calculé ?
6. Tout cela remet en cause fortement les distances (5 ou 10 m) proposées par l’ANSES pour des zones tampon sans traitement. Comment l’ANSES va-t-elle clarifier cela ?
Lettre de l’AMLP à l’ANSES et l’ARS
Nous ne pouvons que soutenir la démarche de nos amis de l’AMLP et nous attendons avec impatience la réponse des deux agences publiques !
Continuons de nous faire entendre
Nous vous avons signalé dans notre précédent article les démarches entreprises par l’association pour alerter la presse, faire connaitre nos positions au moment où se réécrit l’arrêté de 2017 et se mettent en place les chartes départementales.
Le journal Haute-Gironde a fait un écho très complet à notre dernier communiqué de presse.
Un reportage sur “les combattantes des pesticides” en Gironde a été réalisé par Patrick Artinian à travers un magnifique portfolio sur Mediapart (article réservé aux abonnés).
D’autres médias nous ont interrogés et nous mettrons ici les liens au fur et à mesure des parutions.
N’oubliez pas que vendredi 4 octobre est un vendredi Coquelicots. Celui du Nord Gironde aura lieu à Bayon : RDV 18h30 devant la mairie.
*Auteur de L’apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique (Seuil, 2012), et co-auteur, avec Christophe Bonneuil, de L’Événement Anthropocène (Seuil, 2013)