Le combat entrepris par le maire de Langouët, Daniel Cueff, est exemplaire et il met dans l’embarras bon nombre de décideurs. En prenant un arrêté interdisant les pulvérisations de pesticides de synthèse à moins de 150 m de toute parcelle cadastrale contenant des habitations ou des bâtiments à usage professionnel, il a alerté sur l’insuffisance des mesures de protection prises par le gouvernement. Il affirme aussi que le niveau local est pertinent pour prendre des mesures découlant du principe de précaution adaptées à la situation locale, dans le but de protéger la santé des administrés. Cet arrêté a été retoqué en Tribunal Administratif cette semaine à Rennes mais D. Cueff, fort d’un soutien populaire exceptionnel, a décidé de faire appel.
Un soutien énorme
A ce jour plus de 160 000 personnes ont signé les deux pétitions de soutien au maire de Langouët et des centaines d’organisations, de partis politiques, d’associations. Comme nous l’annoncions dans notre précédent post, l’APHG a adhéré au comité de soutien à D. Cueff le 14 juillet, et rapidement, ce comité s’est étoffé.
Aujourd’hui, le soutien populaire est si fort que même les membres de l’exécutif se déclarent en accord avec la démarche… enfin ses motivations (E. Macron sur Kombini News le 23/08), ou avec les préoccupations du maire (E. Borne sur FranceInter le 27/08). Mais le problème serait celui du niveau de décision…
Qui doit prendre des mesures ?
La ministre de l’écologie E. Borne, ainsi qu’E. Macron l’affirment : “c’est la loi qui doit trancher“. Les députés de la majorité ne disent pas autre chose même lorsqu’ils font mine de le regretter comme Benoît Simian, député de la Gironde pour le Médoc. Pourtant, comme le rappelle son profil sur Tweeter il est non seulement député mais rapporteur du budget pour les questions d’écologie. On se demande vraiment ce qui l’a empêché d’agir !
On se rappelle aussi que la majorité présidentielle – B. Simian comme tous les députés LREM – ont renvoyé en commission la proposition de loi d’un autre député de la Gironde, Loïc Prud’homme, pour instaurer une zone tampon de 200 m autour des habitations. Cette proposition de loi déposée en juin 2018 se trouve toujours en ligne sur le site de l’assemblée.
Plusieurs maires ont émis un arrêté analogue à celui de Langouët comme à Parempuyre en Gironde et le risque de contagion est grand étant donné le vide législatif français.
Quant à la FNSEA qui s’est abondamment répandue sur les réseaux sociaux et dans les médias cette semaine, elle ne souhaite pas de texte du tout. “Pesticides : aux arrêtés municipaux, la FNSEA préfère le cas par cas” titre le Parisien du 28 août. Sa présidente Ch. Lambert affirme que l’alternative est le dialogue avec les agriculteurs. Or nous savons bien, dans nos campagnes, la difficulté de ce dialogue dès que des riverains réclament d’être avertis des traitements, de ne pas recevoir les dérives de pulvérisation chez eux, ou de savoir la nature du produit épandu : certes il y a parfois des réponses courtoises, mais elles font exception. L’autre argument de la FNSEA pour refuser l’arrêté de Langouët est que la généralisation de cette interdiction à la France entière aurait pour effet « d’ensauvager 15 % du territoire français ». Diable !
Zone tampon ou de non traitement ?
C’est une nuance de taille régulièrement passée sous silence par les journalistes, peu au fait de ces questions. Parfois même ce sont les élus qui font des confusions. L’arrêté de Langouët est quant à lui très précis. Il ne consiste pas du tout à interdire de cultiver les champs à moins de 150 m des maisons : seulement d’y utiliser les pesticides de synthèse les plus dangereux qui font l’objet d’un classement.
C’est aussi le sens de la proposition de loi de Loïc Prud’homme qui veut interdire, dans les zones tampon, les produits cancérigènes-mutagènes-reprotoxiques (règlement CE n°1272/2008) et les perturbateurs endocriniens (règlement CE n°1107/2009) tout en demandant à élargir la définition de ce dernier.
C’est aussi le sens de la demande faite – à l’initiative de l’APHG – par onze organisations girondines auprès du Préfet de la Gironde (voir ici ) pour imposer une zone de 200 m autour des établissements sensibles où seuls les produits agréés en bio soient autorisés. Nous avions été reçues en avril 2018 (compte-rendu ici) et aucune des demandes formulées n’a avancé depuis, y compris celles qui semblaient raisonnables à nos interlocuteurs comme l’installation de manches à air afin de contrôler la vitesse du vent !
Il y a donc un amalgame inadmissible dans le terme “d’ensauvagement” utilisé par Ch. Lambert. Personne ne propose de mettre en jachère toutes les surfaces agricoles concernées par la zone tampon de 150 m ou de 200m. Seulement de les cultiver selon une méthode qui était celle des grand-pères des agriculteurs actuels, avec des outils techniques et des connaissances scientifiques d’aujourd’hui, méthode qui est celle des agriculteurs bio. C’est donc possible !
Une zone de non traitement (ZNT) est une zone dans laquelle aucun traitement n’est possible, c’est à dire où même un viticulteur bio aurait du mal à travailler puisqu’il ne pourrait même pas pulvériser de la bouillie bordelaise. Cette dernière n’est certes pas anodine et la réglementation limite de plus en plus son utilisation en raison de l’accumulation du cuivre dans les sols.
Mais cela n’a rien à voir avec les dangers encourus par les populations qui reçoivent des dérives de Folpel (CMR avéré), de Boscalid (SDHI avéré) ou de Mancozèbe comme à Villeneuve de Blaye (perturbateur endocrinien). Depuis l’invention de la bouillie bordelaise (vers 1880), on a un recul épidémiologique suffisant pour affirmer qu’elle ne provoque aucun cancer de la prostate ou du cerveau, ni lymphome, ni Parkinson, ni malformation des bébés, ni puberté précoce des petites filles, etc.
Que sera la nouvelle loi ?
Nous ne lisons pas dans le marc de café mais les informations qui transpirent n’ont rien de rassurant.
- Suite au recours déposé par trois associations devant le conseil d’Etat (voir notre post de juin), le seul texte qui fait loi aujourd’hui, l’arrêté de 2017 (texte et commentaires sur notre page dédiée) est suspendu car jugé insuffisant pour protéger les populations.
- Pour le réécrire trois Directions (Santé, Alimentation, Prévention des risques) ont saisi l’ANSES pour lui demander un avis circonstancié sur les mesures à prendre.
- Par ailleurs la loi Egalim dans son article 83 prévoit de renvoyer aux départements la responsabilité de prendre des mesures complémentaires à celles que prendra l’Etat. Ce sont les utilisateurs de pesticides – donc les Chambres d’agriculture – qui vont organiser la concertation pour écrire ces chartes départementales. Un peu comme si on demandait aux pyromanes de rédiger le prochain plan de lutte contre les incendies…
Le rapport de l’ANSES paru en juin dernier (téléchargeable ici) est présenté dans notre rubrique “rapports divers”. Parmi les mesures en cours dans les différents pays européens on retrouve :
- l’interdiction de traiter lorsque la vitesse du vent est supérieure à 3 Beaufort (Wallonie) mais sans précision sur le contrôle de cette mesure (comme en France)
- la réduction des dérives par l’encouragement à l’achat de pulvérisateurs anti-dérives (Allemagne) mais sans préciser ce qui se passe lorsque les pulvérisateurs sont non conformes ou anciens (comme l’a montré un récent audit de la Commission pour la France)
- la plantation de haies même si tout le monde fait le constat de leur inefficacité (comme le montre les mesures d’ATMO en plein cœur de Bordeaux, voir notre article)
- et la distance de non-traitement : 50 m autour des écoles en Wallonie (comme en Gironde, cette distance peut être réduite si matériel performant). Mais les autres valeurs, qui semblent être consensuelles sont…
5 m pour les cultures hautes (fruitiers) et 2 m pour les cultures basses (dont les vignes) !
Tout ce tintouin risque donc de finir, en Gironde, par imposer 2 mètres entre les cultures traitées et les habitations c’est à dire exactement la taille de la plus étroite des tournières pour les tracteurs en bout du rang. Voilà pourquoi Mme Borne peut répondre avec assurance aux journalistes que des décisions vont être prises, et rassurer “en même temps” (on aime ça en Macronie) la FNSEA qu’on ne mettra pas les terres agricoles en jachère et qu’on ne leur imposera pas de passer en bio.
Et lorsque sera découvert le ridicule de cet arrêté, il sera toujours temps pour nos gouvernants de répondre : “arrêtez avec votre centralisme jacobin (cf Simian) qui attend tout de l’Etat, vous pouvez toujours améliorer ça avec les chartes départementales ! “
Voilà pourquoi Daniel Cueff a raison de ne rien lâcher, les maires qui le suivent ont raison de faire monter la pression, et nos associations ont raison de continuer de mener la bataille à tous les niveaux : national avec les procédures lancées par Eau & Rivières de Bretagne, Sud Solidaire ou Générations Futures ; départemental en exigeant d’être associés à l’écriture des chartes. L’APHG a ainsi écrit le 26/08/2019 à la Chambre d’agriculture de Gironde (lettre téléchargeable ici) et la Préfète de Gironde (lettre téléchargeable ici) et invite toutes les autres associations à s’en inspirer.
Et comme la seule solution véritable est l’interdiction totale des pesticides de synthèse, n’oubliez pas de participer au prochain rassemblement des Coquelicots le 6 septembre. Il y en aura forcément un près de chez vous que vous trouverez sur la carte interactive !
PS : merci à Visant pour son dessin, tellement d’actualité !